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Interview de Dr. Jalil BENNANI, psychiatre, psychanalyste et auteur du livre ‘’L’espoir viendra du Sud’’

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Dr. Jalil BENNANI

"« Je défends et valorise ce que recèle l’Afrique, c’est cela l’espoir dont je parle »"

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Dr. Jalil BENNANI

"« Je défends et valorise ce que recèle l’Afrique, c’est cela l’espoir dont je parle »"

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Dr. Jalil BENNANI

"« Je défends et valorise ce que recèle l’Afrique, c’est cela l’espoir dont je parle »"

De prime abord, qu’est-ce qui vous a inspiré pour choisir ce titre, en l’occurrence «L’espoir viendra du Sud»? J’ai écrit cet ouvrage avec un psychanalyste de la ville de Marseille, au Sud de la France. Lui Français, moi Marocain. Ce que nous avons déjà en commun, c’est la Méditerranée. Aussi, nous avons la préface d'un grand philosophe sénégalais, Souleymane Bachir Diagne. Je peux dire que nous appartenons tous à un Sud pluriel et lorsque nous sommes portés par cette appartenance, par toutes les questions qui concernent à la fois la Méditerranée, les devenirs africains et les brassages culturels, on porte de l'espoir. Mais aussi notre regard vers une multiculturalité, vers un avenir qui vient du Sud.

Nous, qui sommes du Sud, nous croyons fortement que des choses créatives et nouvelles venant de nos contrées ont aujourd'hui des choses à apporter au reste du monde.

Comment l’idée vous est venue, Pr Roland Gori et vous, d’écrire cet ouvrage? 

Nous n’avions rien prévu. Tout a commencé par une rencontre suivie d’un échange passionné lors d'une conférence. Nous nous sommes rendus à l’évidence que nous avions encore des choses à partager. Nous avons donc décidé de rester en contact et d’échanger par correspondance au sujet de points importants, du fait des restrictions sanitaires liés à l’épidémie du Covid-19 qui a d’ailleurs révélé beaucoup de réalités sur la santé, la culture, les systèmes éducatifs, l’importance du numérique... Lorsque la discussion est devenue très dense, à un moment donné, nous avons alors commencé à nous dire que ce serait bien d'en faire profiter le public. Ainsi l'idée du livre est née.

«L’espoir viendra du Sud. Dialogue au temps du Covid». Vous évoquez le covid-19 dès le titre… Comment évaluez-vous le combat qu’a mené le Maroc en particulier et les pays du sud en général contre cette crise sanitaire mondiale? 

 

C'est une très bonne question qui répond pleinement au titre. Le Maroc a très bien géré la crise en dépit des difficultés rencontrées. Il est l’un des pays qui ont été à l'avant-garde en termes de prévention. Il a aussi concilié de façon remarquable l’aide sociale, l'aide communautaire, le facteur religieux et le volet scientifique, contrairement à ce qui se passait autrefois lorsqu’on croyait que les épidémies venaient d’une punition divine. On a compris qu’il fallait donner une priorité à la science, et en même temps, préserver les champs social, religieux, communautaire que la population a majoritairement respectés. Les Européens prévoyaient des catastrophes en Afrique. Un jugement que des écrivains, économistes africains, notamment le sénégalais Felwin Sarr, ont qualifié d’afro-pessimisme. Or, leur prédiction n'a pas eu lieu. C’est ce qui nous amène à considérer que nos pays doivent développer leurs propres ressources et capacités pour faire face aux crises, aux épidémies et aux endémies. Dans ce sens, le Maroc a été l’un des pays phares et exemplaires.

-Vos autres écrits englobent-ils aussi une dimension africaine?

J'ai publié un ouvrage intitulé « Des djinns à la psychanalyse, nouvelle approche des pratiques traditionnelles et contemporaines » qui touche de près à cette question et qui sera également présenté au Salon. Je m'intéresse aux traditions. « Les djinns », nous les appelons les “Jnoun”, existent chez nous comme dans nombre de pays africains.

J’ai évoqué cela parce que nous avons beaucoup de croyances liées aussi à la sorcellerie, la magie et la possession. Je m'y intéresse parce qu’elles questionnent les modèles importés. Il ne faut pas adopter aveuglement mais plutôt voir comment les traditions interrogent ce qui nous vient de l'Occident. Ce n’est pas pour rejeter les pratiques occidentales mais pour les articuler aux pratiques traditionnelles.

« L’espoir viendra du Sud » s’inscrit dans la continuité de celui qui l’a précédé. J'ai toujours été intéressé par les questions multiculturelles. J’avais d’ailleurs fait un travail de proximité avec les réfugiés au Maroc.

-Quel est l’espoir qui viendra justement du sud?

La crise mondiale actuelle est la résultante d’une panne des idéologies. Pendant longtemps, l'Afrique a été assistée et colonisée. Sortie des périodes coloniales, elle ne s’est pas détachée pour autant de l’influence culturelle coloniale. Donc l'espoir viendra justement des choses nouvelles qui ont été jusque-là tues. Des forces nouvelles et de nouvelles créativités peuvent apporter un autre rayonnement qui profitera au reste du monde.

-Pourquoi le choix de “L’espoir viendra du Sud” pour la 27ème édition du SIEL?

Dans le titre il fallait qu'il y ait le mot “Sud”. Un titre doit être à la fois frappant et juste. J'espère que ce livre portera la marque de l'espoir et incitera à regarder du côté d’un Sud qui a été longtemps réprimé ou renié. Je vis sur une terre africaine, ainsi je défends et valorise ce que recèle cette partie du monde, c’est cela l’espoir dont je parle.

-La chaîne ARTE a publié un reportage le 21 mai 2021 sur le covid-19 titré: “France: un espoir venu du Nord”. Est-ce contradictoire avec ce que vous énoncez dans votre livre? 

Je n'ai pas regardé ce reportage, mais si on pense que l'espoir ne viendra que du Nord, c'est contradictoire. Je crois fermement qu'il vient du Sud.

-Je vous cite: -“Un Sud hybride bâti autour des détroits et des carrefours par où transitent les civilisations, un Sud qui pourrait répondre au défi de la mondialité dès lors qu’il renoncerait au mirage des identités essentialisées.” Ce Sud hybride est-il en train de perdre son identité ou est-il en train de s’en forger une nouvelle ?

Les premiers hommes viennent d'Afrique, l'origine du monde. Ce continent est multiculturel, multilingue, plurireligieux… Bref, pluriel. Etant un carrefour, il ne peut pas comporter une seule identité. Les identités essentialisées, c'est quoi ? Elles conduisent à dire que le Marocain est comme ceci ou comme cela, de même pour le Sénégalais, le Chinois…

Je refuse d'être regardé sous une identité unique. Le Maroc, à lui seul, est la somme de plusieurs identités. Cette pluralité identitaire évite l’essentialisation. Avec cette dernière, il n’y a pas droit à la différence, il n’y a pas droit à une liberté d’être un autre… La pluralité, c’est ce Sud hybride.

D'ailleurs, même en Occident, ceux qui défendent une identité qui ne serait pas métissée sont à côté des réalités. Actuellement, nous vivons dans un monde d'échanges, de multiculturalisme, d'identités plurielles. De grands artistes français ont des origines différentes, que ce soit un artiste comme Picasso, un écrivain comme Milan Kundera ou un humouriste comme Jamel Debbouz. Ce sont des personnes qui viennent de régions lointaines mais qui ont réussi en France et s’y sont imposés.

Le monde est multiculturel mais je crois qu'il y a des crispations identitaires en Europe qui n’existent pas chez nous. L’hybridité, le multiculturel, les croisements sont plus évidents chez nous et nous sommes d’une certaine manière dans cette ouverture.

Interview réalisée le jeudi 2 juin 2022 à Rabat, par Chaïmae OURIARHLI FIKRI.

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